Lettre n°18 – janvier 2000

La tempête est passée sur la France et une société développée et technicisée s’est tout d’un coup retrouvée face à elle-même dans la confusion et le désarroi. Services publics qui font ce qu’ils peuvent, solidarités locales multiples qui s’organisent tant bien que mal, tandis que ceux qui représentent l’État semblent, sur le moment, curieusement absents. Ils se sont rattrapés ensuite multipliant les déclarations et débloquant les aides, mais leurs paroles et leurs actes ont tardé, renforçant un peu plus le fossé qui les sépare de la société.
Cette tempête aura montré la fragilité des sociétés développées, fières de leur maîtrise scientifique et technique, mais peu autonomes et désorganisées face à l’imprévu. Elle aura constitué comme une épreuve du réel face aux discours modernistes sur la toute puissance des nouvelles technologies et le village planétaire à l’heure d’Internet. Face à l’épreuve, la nation dans le cadre de l’Union européenne reste le lieu central de solidarité. Et tous ceux qui n’avaient de cesse de dénoncer le rôle trop important de l’État, se retournent désormais vers lui pour exiger son intervention et son aide.
Quelles leçons seront tirées de cette tempête de fin de siècle ? On ne reviendra pas en arrière : faire face aux risques et aux catastrophes implique le renforcement des techniques et des méthodes d’organisation modernes, le développement des moyens et de l’efficacité de l’intervention de l’État. Mais des questions demeurent : comment allier ce renforcement avec le développement de la qualité du lien entre l’État, ses service publics et les citoyens ? Qu’en est-il de la capacité d’une société développée à affronter l’épreuve et l’imprévu ?

Marée noire, fin de siècle

Bateau usé qui se casse en deux comme cela était prévisible, pétrole qui souille les îles et les côtes. Pavillon de complaisance et propriétaire fantôme pour tenter d’échapper aux poursuites. Le transport est devenu un marché mondial. Pour réduire les coûts de transport on a recourt aux pavillons de complaisance, on embauche une main d’oeuvre bon marché et sous-qualifiée, on contourne les lois et les règlements… 
TotalFina s’engage à mener les opérations de pompage et à payer une partie des frais. Son PDG, manager de l’année, dans un geste « éthique » ayant souci de son image, verse une journée de son salaire dont on ne connaît pas le montant total.
Triste spectacle de fin de siècle : ce n’est pas seulement l’appât du gain des pétroliers qui est en cause, mais l’impuissance du politique à faire respecter les règles de sécurité, à s’opposer efficacement à la logique du marché.

Sommaire de la lettre n°18 – novembre 2000